
La France a annoncé ce mercredi avoir sélectionné le drame « Ce n’était qu’un accident » du réalisateur iranien Jafar Panahi, lauréat de la Palme d’Or, pour la représenter à la prochaine cérémonie des Oscars. Ce choix inattendu met en lumière un film que l’Iran n’aurait certainement jamais proposé lui-même, offrant ainsi une voie inespérée vers la prestigieuse compétition.
Un choix fortement symbolique
Cette décision revêt un poids politique considérable. Jafar Panahi, cinéaste dissident, a passé une grande partie des quinze dernières années en résidence surveillée, interdit de voyager ou emprisonné par le régime iranien. Comme ses œuvres précédentes, « Ce n’était qu’un accident » a été tourné clandestinement dans son pays natal, sans l’autorisation du gouvernement.
Normalement, seuls les pays peuvent soumettre un film pour la catégorie du meilleur film international, un processus souvent critiqué car il permet à des régimes autoritaires de contrôler les œuvres éligibles. Cependant, une modification récente du règlement de l’Académie des Oscars autorise désormais les cinéastes bénéficiant du statut de réfugié ou d’asile politique à être représentés par un autre pays. Cette sélection fait écho à celle de l’année dernière, où l’Allemagne avait présenté « Les Graines du figuier sauvage » de Mohammad Rasoulof, ami et compatriote de Panahi.
Un drame acclamé, inspiré d’une expérience personnelle
« Ce n’était qu’un accident » est le premier film de Jafar Panahi depuis sa libération de prison il y a deux ans, suite à une grève de la faim. Le film, un drame de vengeance, suit un groupe d’anciens prisonniers qui retrouvent l’homme qu’ils soupçonnent d’avoir été leur tortionnaire. Ayant eu les yeux bandés durant leur incarcération, leur certitude vacille. Panahi a puisé dans sa propre expérience des geôles de Téhéran pour nourrir son récit.
Le film a été monté en France, cofinancé par une société française et, pour la première fois en plus de dix ans, Panahi a pu quitter l’Iran pour présenter son œuvre au Festival de Cannes en mai dernier. Il y a remporté la récompense suprême, la Palme d’Or, sous les acclamations du public. En recevant son prix, le réalisateur a lancé un appel vibrant : « Unissons nos forces. Personne ne devrait oser nous dire comment nous habiller, ce que nous devrions faire ou ne pas faire. Le cinéma est une société. Personne n’a le droit de nous dire ce que nous devons faire ou nous abstenir de faire. »
Le rôle clé de la France et la justification du CNC
L’implication de la France dans la production a été déterminante. Le film est une coproduction avec la société parisienne Les Films Pelléas et sera distribué en France par Memento Distribution. Gaëtan Bruel, directeur du Centre National du Cinéma (CNC), a déclaré : « Après avoir remporté la Palme d’Or à Cannes, « Ce n’était qu’un accident » est maintenant en route pour les Oscars. Ce drame iranien, réalisé par le grand cinéaste Jafar Panahi et produit avec le soutien décisif de la France, notamment du CNC via l’Aide aux Cinémas du Monde, prouve que notre pays, 130 ans après l’invention du cinéma, est le cœur battant des coproductions internationales et une terre d’accueil pour les créateurs du monde entier, en particulier ceux qui sont empêchés de travailler dans leur propre pays. J’espère qu’il remportera la prestigieuse statuette. »
Une sélection face à une forte concurrence
La bataille pour représenter la France a été particulièrement rude cette année. Le film de Panahi a été préféré à d’autres œuvres présélectionnées, notamment le film d’animation « Arco », « Une vie privée » de Rebecca Zlotowski ou encore l’hommage à la Nouvelle Vague de Richard Linklater, « Nouvelle Vague ».
Ce choix tranche avec certaines décisions passées qui avaient fait l’objet de critiques. En 2023, la France avait surpris en écartant « Anatomie d’une chute » de Justine Triet (qui fut tout de même nominé pour le meilleur film), et avait également ignoré le très acclamé « Portrait de la jeune fille en feu » de Céline Sciamma en 2019. Malgré une industrie cinématographique parmi les plus respectées au monde, la France n’a pas remporté l’Oscar du meilleur film international depuis « Indochine » en 1993.
Le contexte de la course aux Oscars
La course pour l’Oscar du meilleur film international pour la 98e cérémonie est bien lancée. Les pays ont jusqu’au 1er octobre pour soumettre leur candidat. Une première liste de 15 films présélectionnés (« shortlist ») sera dévoilée le 16 décembre, et les cinq films nominés seront annoncés le 22 janvier. L’année dernière, 86 pays avaient concouru. Le film « Ce n’était qu’un accident » sortira dans les salles françaises le 1er octobre, puis aux États-Unis à la mi-octobre, ce qui lui permettra de mener sa campagne pour les Oscars dans des conditions optimales.