
La nouvelle saison de la série d’anthologie de Ryan Murphy, Monster, consacrée cette fois au tristement célèbre Ed Gein, s’est rapidement hissée en tête du classement Netflix. Cependant, à l’instar des saisons précédentes sur Jeffrey Dahmer et les frères Menendez, cette nouvelle production suscite une vive polémique. Le créateur, Ryan Murphy, n’est pas étranger à la controverse, ses œuvres précédentes comme American Horror Story ayant déjà été critiquées pour leur traitement sensationnaliste de faits réels, allant de la réécriture de l’histoire d’Anne Frank à la romance supposée de tueurs en série. Cette troisième saison, The Ed Gein Story, ne fait pas exception et plonge le spectateur dans un malaise qui dépasse la simple horreur du sujet.
Un malaise au-delà de l’horreur attendue
Certes, l’histoire d’Ed Gein est intrinsèquement macabre. L’homme, dont la pathologie grave était probablement aggravée par la schizophrénie, était un profanateur de tombes qui confectionnait des vêtements et des meubles à partir de restes humains avant de commettre des meurtres pour assouvir ses pulsions. Un spectateur qui lance une série intitulée Monster ne peut être surpris d’y trouver des scènes de nécrophilie ou de violence graphique. On pourrait même argumenter, avec une certaine générosité, que l’intention des créateurs est d’explorer la psychopathologie pour mieux la comprendre. Le problème ne réside pas dans la représentation de cette horreur factuelle, mais dans les choix de mise en scène qui l’entourent.
Des choix narratifs et esthétiques dérangeants
Le véritable malaise naît de scènes qui semblent gratuites et éthiquement douteuses. Par exemple, comment justifier la séquence où la criminelle de guerre nazie Ilse Koch, pour qui Gein avait une fascination documentée, organise une fête glamour pour des officiers SS ? La série nous montre l’influence de Koch sur Gein, mais sans aucune distance critique, mettant presque le spectateur dans la même position que le tueur. Cette exploitation de la mémoire des victimes de l’Holocauste à des fins de divertissement pose une sérieuse question morale, surtout en comparaison avec des œuvres qui traitent ce sujet avec la gravité qu’il mérite, comme La Zone d’Intérêt de Jonathan Glazer. De même, l’insistance sur le corps sculptural et parfaitement éclairé de l’acteur Charlie Hunnam, qui incarne Gein, semble totalement déplacée.
Quand la fiction prend le pas sur les faits
La série brouille constamment les lignes entre la réalité et la pure invention. L’exemple le plus frappant est une scène entièrement fictive de l’épisode deux, où Gein, habillé comme la mère de Norman Bates dans Psychose, poignarde sa petite amie potentielle sous la douche. Pour s’assurer que le spectateur comprenne bien la référence, la scène est entrecoupée d’images d’Alfred Hitchcock observant une actrice et des réactions du public de l’époque. Cette mise en abyme, bien plus graphique que l’original de Hitchcock, semble plus intéressée par son propre commentaire sur le cinéma que par la vérité historique.
Démêler le vrai du faux : les crimes réels d’Ed Gein
Face à ces nombreuses libertés scénaristiques, il est essentiel de rappeler les faits. En réalité, Ed Gein n’a avoué que deux meurtres : celui de Bernice Worden, 58 ans, propriétaire d’une quincaillerie en 1957, et celui de Mary Hogan, 54 ans, tenancière de taverne en 1954. Ces deux crimes sont dépeints dans la série. Bien qu’interrogé sur d’autres disparitions, il n’a jamais admis d’autres meurtres et aucune preuve n’a pu l’impliquer. Les restes humains retrouvés à son domicile provenaient de ses profanations de tombes ; il a admis avoir exhumé les corps de neuf ou dix femmes dans des cimetières voisins, ce qui a été vérifié par les enquêteurs.
L’invention la plus spectaculaire : la connexion avec Ted Bundy
Le dernier épisode pousse la fiction à son paroxysme. Dans une séquence qui semble être un hommage direct à une autre série à succès de Netflix, Mindhunter, les agents du FBI John Douglas et Robert Ressler rendent visite à Gein en prison. Ils cherchent de l’aide pour profiler un tueur en série qui n’est autre que Ted Bundy. La série va jusqu’à recréer l’esthétique de Mindhunter et suggère que les « conseils » de Gein ont été déterminants dans la capture de Bundy. Inutile de préciser que cette collaboration n’a jamais eu lieu. Il s’agit d’une pure construction scénaristique visant à positionner Gein comme une sorte de « père fondateur » des tueurs en série modernes, une affirmation spectaculaire mais historiquement fausse.