Paris vit une véritable mutation gastronomique. Si la capitale a longtemps reposé sur ses lauriers classiques, une nouvelle garde de chefs et de torréfacteurs bouscule les codes établis, prônant une approche plus éthique, technique et résolument moderne. Cette transformation s’observe aussi bien sur les toits des grands magasins que dans l’intimité des micro-brûleries de quartier.
Le retour végétal sur les toits de Paris
C’est un signal fort de ce renouveau : le restaurant Créatures a repris ses quartiers d’été sur la terrasse des Galeries Lafayette Haussmann. Julien Sebbag, le jeune chef à la tête de ce projet, relève une nouvelle fois le défi de rendre la cuisine végétale attrayante, voire sensuelle. Avec une carte intégralement végétarienne, dont près de 40 % des propositions sont véganes, l’objectif est clair : il s’agit de sublimer fruits et légumes pour les rendre gourmands, innovants et surprenants.
La démarche ne se limite pas à l’assemblage ; elle repose sur un sourcing méticuleux. Le chef privilégie des produits biologiques, locaux et saisonniers. Une partie des ingrédients, qu’ils finissent dans l’assiette ou dans les verres du bar à cocktails axé sur l’herboristerie, provient directement des potagers urbains situés à proximité immédiate du restaurant. Le cadre participe à cette expérience : une terrasse végétale offrant une vue imprenable sur les toits parisiens, idéale pour les longues journées estivales.
Une offre élargie du petit-déjeuner au dîner
Cette année, le lieu enrichit son offre avec l’inauguration de Créatures Bakery. Dès le matin, l’espace propose des viennoiseries tout juste sorties du four, des croissants moelleux aux brioches dorées, accompagnés de jus frais comme le « Confiance » ou le « Bonheur », ou encore d’œufs à la turque. Pour ceux dont l’appétit s’éveille plus tardivement, la carte déjeuner décline des classiques revisités : pancakes au sirop d’érable, salade grecque agrémentée de féta marinée et de sumac, ou encore une patate douce rôtie servie avec thina et noisettes. Les prix oscillent entre 9 et 16 euros pour les plats, tandis que les douceurs sucrées, comme le crumble noisette ou le nougat glacé au tahini, viennent clore le repas sur une note régressive.
La révolution du café parisien
Si la cuisine parisienne a su se réinventer, le café a longtemps été le parent pauvre de la gastronomie française. Il y a encore une décennie, l’idée que Paris puisse abriter certains des meilleurs cafés du monde aurait fait sourire. M.F.K. Fisher, célèbre critique culinaire américaine, notait déjà en 1937 que si la France possédait le palais le plus intelligent, son café restait une exception flagrante. Pendant un demi-siècle, le pays, pourtant réputé pour son goût, s’est contenté d’expressos amers et robustes, héritage d’un passé colonial et de la domination de géants industriels.
Pourtant, le vent a tourné. Après une prise de conscience amorcée au début des années 2010, souvent soulignée par la presse anglo-saxonne, la capitale française connaît aujourd’hui une effervescence sans précédent. Joachim Morceau, fondateur de Substance Café, estime même que les cinq meilleures adresses parisiennes pourraient rivaliser avec n’importe quel top 5 mondial. Nous sommes loin de l’époque où le New York Times s’interrogeait sur la médiocrité du café parisien. La scène locale, d’abord portée par des torréfacteurs indépendants inspirés par l’Australie ou les États-Unis, entre désormais dans une phase de maturité technique impressionnante.
Vers une approche scientifique et le respect du terroir
Les experts parlent aujourd’hui d’une « quatrième vague » du café à Paris. Il ne s’agit plus seulement de corriger une mauvaise réputation, mais de pousser l’exigence à son paroxysme. Dans la plupart des quartiers, on trouve désormais des micro-brûleries défendant des grains d’origine unique et des méthodes d’extraction de pointe. Cette montée en gamme a un coût, transformant le « petit noir » de comptoir en une expérience de dégustation complexe, plus proche d’un grand vin que d’un expresso rapide.
Alexis Gagnaire, fondateur du café Tanat, souligne que l’innovation est désormais au cœur du processus. Les techniques empruntent parfois à l’œnologie, comme la macération carbonique ou la co-fermentation avec des fruits, pour développer des profils aromatiques tropicaux et inédits. Cette approche attire une nouvelle clientèle, curieuse et exigeante.
La notion de terroir devient centrale. La tendance est aux torréfactions plus claires, révélant des notes florales et une texture proche du thé. Chez Substance Café, par exemple, on peut déguster un Geisha éthiopien fermenté avec la cerise entière, extrait avec une eau dont la minéralité est calibrée au millimètre près. Le résultat est une boisson subtile, élégante et persistante. Comme l’explique Kévin David de la brûlerie Moklair, l’avenir du café parisien réside dans cette diversité variétale et dans des procédés de séchage affinés, cherchant à rendre le café à la fois plus lisible et plus profond. Paris n’est plus seulement une ville où l’on mange bien ; c’est désormais une capitale où l’on déguste le café avec la même révérence qu’un grand cru.